PARIS , JE T'AIME TROME !

Il est 5 heures.
La nuit bâille. Elle a sommeil.
Vallium et Temesta, les chanteurs de l'oubli, ont enfin terrassé la vigilance de cette insomniaque notoire.
D'ici quelques minutes la nuit dormira.

Il est 5 heures. Paris s'éveille.
Les travestis vont se raser. Les stripteaseuses sont rhabillées. Y'a pas Juppé à la télé.
Les traversins sont écrasés. Les amoureux sont fatigués. Tibéri, lui, n'a pas baisé.

Pour résumer la situation , il est 5 heures et dehors c'est pas génial.
Paris a la gueule de bois. Paris titube. C'est peut-être beau une ville la nuit,mais ceux qui sont debout ne sont pas là pour faire du tourisme .
Il fait froid . Il pleut.
Les paumés déambulent à la recherche d' un peu de chaleur. En vain .
Les boîtes viennent de fermer. Les cafés ne sont pas encore ouverts.
Il fait froid . Il pleut.

Puis d'un seul coup, jaillissant des entrailles de la terre, l'espoir renaît sous les traits saugrenus d'un myrmidon , tout de vert vêtu, qui porte les clefs de la félicité.
Le miracle se reproduit chaque jour à la même heure, simultanément dans plusieurs endroits.
Créatures divines, les myrmidons verts déverrouillent leur fourmilière pour sauver de la pneumonie les abonnés du désespoir et les princes déchus de la cuite.
Leur tabernacle devient en quelques minutes le refuge des clochards, des gogo-dancers éreintés et des ouvriers exploités par le patronat.
Au sein de cet enchevêtrement de tunnels,de ce labyrinthe babylonesque, des tribus jusque-là hermétiques se mettent à communier fraternellement.
Serrés les uns contre les autres, les fidèles écoutent avec ferveur les paroles sacrées des prêtres et prêtresses qui retentissent dans l'enceinte du temple:"un incident vient de se produire sur la ligne. Veuillez attendre quelques instants."
Ces paroles, empreintes de sagesse orientale, leur enseignent la voie douloureuse de l'ataraxie, de la paix intérieure. Corps et esprits se façonnent dans ce décor inattendu.

Loin de la grisaille du ciel, loin du froid et de la pluie, loin de la solitude des chambres vides et des boulevards nus, le sanctuaire des myrmidons verts scintille de mille feux. Voyager dans ses arcanes, c'est voyager dans le temps, dans l'imaginaire et le rêve.
La musique de la vie et du hasard y est plus belle que partout ailleurs.
A droite vous rencontrerez Jean-Hugues Anglade qui fait du roller, en prenant à gauche vous tomberez sur Jean Réno qui joue de la batterie.
Certains affirment qu'au nord-est sur la ligne 3-bis, il y aurait des contrebandiers de Petits Ecoliers.
La magie est partout présente.
A Barbès-Rochechouart, fermez les yeux et prêtez l'oreille. Au bout de quelques instants vous entenderez des milliers de grillons égrener des notes confuses. Vous n'êtes plus à Barbès, vous êtes en Provence au milieu de la garrigue à l'ombre d'un buisson.Ca fleure bon la lavande et le romarin.
Puis non, vous n'êtes pas en Provence, vous êtes au bord de la mer.

"Je rêve, je divague
Je vois des vagues
Et dans la brume au bout du quai
J'vois un bateau qui vient me chercher."

Sur la proue le Capitaine Nemo nous fait des grands signes. Il nous dit de faire cap sur la station Arts et Métiers où est ancré son sous-marin.
Après une courte traversée sans avaries nous débarquons dans une crique paradisiaque. Au-dessus sur la falaise qui nous surplombe , les Gipsy Kings entonnent avec entrain Jobi Joba, tandis que derrière la dune Bob Marley fait un boeuf avec un violoniste bosniaque.
Tout s'entremêle, se pénètre de mille façons. La plainte du mélancolique et le rire du sceptique, le cri de colère et le gémissement de l' agonie.
Ici il ne fait pas froid . Ici il ne pleut pas.

A l'est de la fourmilière, les révolutionnaires sont prêts à en découdre. Robespierre et Voltaire , en retrait, préparent l'insurrection. Au front Bolivar, Le Colonel Fabien, Gambetta et Jaurès se préparent à mourir.
La guerre éclate.Les obus pleuvent sur Stalingrad tandis que certains combattants particulièrement ardis comme Emile Zola ou Louise Michel tentent d'ouvrir des brèches chez l'ennemi.
D'autres sont moins téméraires: Victor-Hugo capitule et demande l'asile politique dans le 16ème arrondissement.
Les troupes révolutionnaires sont décimées. Les morts font la queue devant les guichets du Jugement Dernier:"Terminus tout le monde descend".
L'intensité des combats commence à faiblir. Des négociations ont débuté et l'armistice devrait bientôt être signée.

Sur la ligne 7 vers Place d'Italie personne a entendu parler de la guerre.
Ici on boit du chianti au son de la mandoline.
Sur le quai Christophe Lambert tente de séduire Isabelle Adjani.
Sur les banquettes, les genoux des voyageurs se frôlent.
A chaque arrêt, des regards se croisent.
L'amour suinte.
Le temps est suspendu.Les amoureux s'embrassent, les solitaires s'observent.

Le train s'arrête, puis redémarre, puis s'arrête encore.
Il est 1 heure, il faut sortir.

Il fait nuit. Il fait froid. Il pleut.

Pingouin.


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